« L’ordre du jour » d’Éric Vuillard (Actes Sud)
Éric Vuillard a un talent tout particulier pour parler du présent tout en parlant d’histoire avec un grand H. C’est d’autant plus remarquable qu’il n’y fait jamais référence au présent ! Pourtant, n’importe quel lecteur comprend que ses textes ne nous parlent que de ça et qu’ils ont valeur d’avertissement dans la plupart des cas. Après avoir exploré les origines de la société du spectacle en nous parlant de Buffalo Bill ou avoir décrit l’incroyable simplicité avec laquelle débutent les révolutions dans « 14 juillet », le voilà qui nous parle des dictateurs et de l’aisance qu’ils ont à agir sans provoquer de réactions d’indignation internationales auxquelles on s’attendrait.
« L’ordre du jour » parle de l’Anschluss (c’est-à-dire l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie). Sujet âpre, repoussant, voire inintéressant me direz-vous ? Erreur. Éric Vuillard est avant tout un styliste de premier ordre et ce magicien de la langue a su transformer ce qui devrait être un handicap en originalité extraordinaire. Qui oserait se saisir de ce sujet pour en faire de la littérature ? Le résultat est bluffant. Je suis resté hypnotisé par ce texte du début à la fin. La dramaturgie du propos est maîtrisée au plus haut niveau et l’intelligence de la pensée Vuillardienne surgit partout. A chaque chapitre, les comparaisons avec Vladimir Poutine, Recep Erdogan, ou même Donald Trump, nous viennent spontanément à l’esprit, alors que rien ne l’indique en apparence.
Personnellement grand admirateur de cet écrivain plein de talent, j’ai donc accueilli avec bonheur l’annonce que ce livre avait été récompensé par le Prix Goncourt 2017. Certes, le récit est purement historique et certains regretteront l’absence de romance ou de héros véritable, mais n’est-on pas arrivés à une époque de grands périls où s’adresser aux consciences de chacun est un devoir sacré ?